J'aurais tant voulu être fidèle
Je faisais mes courses lundi soir dans un hypermarché que je fréquente régulièrement. À la caisse on me demande (comme d'habitude) si j'ai une carte de fidélité, comme d'habitude je réponds que non.
Contrairement à l'habitude, on me demande si j'en veux une et, dans l'intérêt de la science, je décide de répondre oui pour avoir une idée de la procédure. Il faut dire que je souffre d'un besoin maladif d'avoir mes moindres achats épiés et répertoriés dans une base de données à but commercial, en l'échange de bonus et réductions dérisoires.
Le formulaire est simple à remplir, il se compose d'une feuille de baratin expliquant pourquoi il est capital pour mon bien-être de le remplir, et du formulaire proprement dit où toutes les infos ou presque (à savoir, sauf le nom et l'adresse) sont facultatives. Je vais donc à l'accueil pour recevoir un stylo et remplir mon précieux formulaire.
L'hôtesse de l'accueil me jette un stylo. Je remplis le strict minimum. puis je bloque sur le « Je déclare avoir pris connaissance des conditions générales d'utilisation de la carte de fidélité » suivi de l'emplacement pour signature. Je demande ces conditions à l'hôtesse qui me gratifie d'un regard et d'un ton que l'on réserve aux débiles profonds pour me répondre qu'il s'agit d'une simple carte de fidélité, pas d'une carte de paiement. J'explique avec le sourire que je ne peux pas déclarer avoir lu un document que je n'ai pas vu. Agacée, elle prétend que les conditions, c'est ce que j'ai entre les mains. Et que si je ne signe pas, ma carte ne sera pas activée. Je retourne la feuille qui ne contient évidemment que du pipo commercial, fais remarquer que ça ne ressemble pas à des conditions d'utilisation, d'ailleurs ça n'en porte pas le titre, et renouvelle ma demande.
Le collègue de mon hôtesse (qui n'avait rien de charmante) prend le relai pour la ménager et me propose d'aller voir au service spectacles et billeterie, ils les ont sûrement, ces fameuses conditions. Je vais patienter à ce guichet. Au bout de cinq minutes, quelqu'un s'occupe de moi, prend mon formulaire (rempli sauf la signature), et me demande ce que je souhaite tout en signant mon formulaire. Après avoir signé, son cerveau se met en marche et lui fait s'écrier « Merde, j'ai signé à votre place! ». Je lui explique donc mon souhait de voir les conditions d'utilisation de la carte. Pendant ce temps il recopie mon formulaire maintenant bon à jeter sur un formulaire vierge. Il ne les a pas, ces conditions, mais il me donne un catalogue d'avantages liés à la carte, me présente le quatrième de couverture en pointant l'adresse du service marketing et me suggère de leur écrire pour leur demander. Il finit de recopier mon formulaire, le retourne vers moi et me tend le stylo en me disant « Voilà je vous laisse signer ».
Là, j'avoue que le fou rire n'est pas loin. Mais je garde mon calme et lui explique que mon problème n'a pas été magiquement résolu. Toujours pas de conditions, toujours pas de signature. Il m'informe pour finir qu'il doit donc conserver le formulaire tant que je ne l'aurai pas signé. Je pense qu'il va pouvoir le conserver longtemps.
Je ne sais pas ce qu'il y a de plus marquant dans mon expérience :
- le fait qu'il est attendu et naturel de demander aux gens de faire des fausses déclarations;
- le fait que lorsqu'il ne s'agit pas d'une carte de paiement, une fausse déclaration est sans conséquence;
- la spontanéïté avec laquelle le deuxième caissier a signé à ma place, révélant une compulsion à la signature;
- le fait que le catalogue d'avantages liés à la carte comprend justement ces conditions dans les trois dernières pages.
Il n'y a sans doute pas de raison de leur en vouloir à eux particulièrement d'être aussi mauvais dans leur relation client, aussi arrogants et désinvoltes concernant un document qui prétend me lier à des conditions d'utilisation que je n'avais pas l'intention d'accepter de toute façon. Mais parfois il m'arrive d'imaginer que les enseignes de supermarchés dans mon coin, toutes tailles confondues, ne porte pas toutes ou presque la marque Casino.