Débat sur les ondes
Ce soir, l'association « Café Sciences et Citoyens de l'Agglomération Grenobloise » organisait un débat sur les ondes et leur potentielle nocivité sur le corps humain. Louable entreprise fatalement vouée à l'échec tant les positions des opposants aux ondes sont crispées, essentiellement nourries par les cris d'alarmistes plus préoccupés de notoriété que de rigueur scientifique ainsi que par leur ignorance manifeste des principes physiques de l'électromagnétisme. Débat forcément stérile certes, mais néanmoins distrayant. Je vais essayer de retranscrire ce que j'en ai retenu. Je ne garantis pas que cela correspond au mieux à la réalité du débat et des connaissances sur la question, c'est seulement passé au travers du filtre de ce que je considère vraisemblable.
Pour commencer, quelques rappels physiques et technologiques. Un portable en veille (c'est-à-dire qui n'est pas en communication mais allumé) n'émettrait essentiellement rien. Il écoute régulièrement ce que les antennes émettent, pour vérifier qu'il est toujours proche d'une borne, et qu'il n'y a pas d'appel entrant. Il n'émettrait qu'une fois toutes les demi-heures (ordre de grandeur) pour rappeler à l'antenne la plus proche qu'il est toujours allumé; ainsi que lorsqu'il détecte qu'il s'éloigne de l'antenne qu'il écoute pour signaler un changement de cellule. Il n'y aurait donc pas à s'inquiéter d'un téléphone portable porté dans sa poche tant son émission est sporadique.
Second rappel, l'ordre de grandeur d'émission d'une antenne serait de quelques dizaines de Watts. Avec une décroissance quadratique en fonction de la distance de la puissance reçue, il n'y a encore une fois essentiellement aucune raison physique de s'inquiéter des émissions d'ondes des antennes de portable. Fait amusant, la prolifération des antennes n'induit pas une augmentation de la puissance globale reçue par un utilisateur : une meilleure couverture en terme de nombre d'antennes signifie que chacune d'entre elles peut émettre à un niveau de puissance moindre que s'il y en avait moins, ce qui se traduit par (probablement) moins de puissance reçue par l'individu. À tout prendre, il vaudrait donc mieux habiter près d'une antenne relai en ville, où leur nombre permet de diminuer leur puissance d'émission, que près d'une antenne en campagne, où chacune doit cracher plus d'énergie pour atteindre une couverture similaire.
C'est à ce moment qu'un participant au débat suggère qu'il faut tenir compte du gain de l'antenne, disons de 10dB, ce qui signifierait qu'une antenne émettant à 20W avec un tel gain implique 200W de puissance reçue par un individu proche de l'antenne. Un étudiant qui me sort une connerie pareille se prend zéro. Pour commencer, un gain mesurant le rapport entre la puissance utile et la puissance consommée est forcément inférieur à 1 d'une part; et d'autre part l'expression du gain en dB suppose une échelle logarithmique, et la multiplication ne se passe donc pas tout à fait comme cela. J'ai été déçu de la réponse du physicien de service, qui aurait pu répondre de façon beaucoup plus claire et précise et clore cette partie du « débat » plus rapidement.
L'argument de la décroissance quadratique balaierait du même coup les inquiétude liées aux bornes wifi : la puissance d'émission de la borne étant relativement faible (quelque dW si j'ai bien suivi) et de plus une cloison en béton entrainerait une atténuation d'environ 13dB.
Nous avons ensuite eu une intervention d'un médecin-chercheur du CHU. J'en ai retenu deux choses. D'abord, les personnes qui se déclarent « électro-sensibles » ne sont pas capables dans des études sérieuses effectuées en double aveugle de déterminer si elles sont ou non soumises à un champ électromagnétique. Ce qui est par contre intéressant, est que la souffrance est réelle : on mesure bien, lors d'une exposition factice à un champ électromagnétique, l'activité des zones du cerveau liées à la douleur. Nous avons ensuite eu un témoignage d'une électro-sensible. J'ai eu l'impression que la survenue de symptômes inexpliqués trouve peu à peu pour la personne leur explication dans « les ondes » au sens large, et ce d'autant plus facilement que plus on cherche de causes plus on les trouve (l'antenne de portable dont la date de constuction, ou plutôt de découverte par la personne, coïncide avec l'apparition des symptômes, des malaises dans le tram, etc). Aussi, et même s'il est désagréable de se faire considérer comme un cas psychiatrique car leur souffrance ressentie est réelle, il me semble assez clair que dans la limite des connaissances médicales sur le sujet c'est bien dans sa tête qu'il faut chercher l'origine des malaises.
La deuxième choses intéressantes, c'est que des études épidémiologiques pourraient commencer à suggérer une corrélation entre utilisation du téléphone portable et probabilité d'apparition d'une tumeur au cerveau. Apparemment, si on classe binairement les sujets entre « gros consommateurs » et « faibles consommateurs », on n'observerait pas de corrélation significative. Par contre, si on classifie avec plus de finesse, on peut mettre en évidence une corrélation. Si je caricature, cela voudrait dire que si on met de côté le groupe de ceux qui passent leur vie accrochés à leur portable, on observe dans ce groupe une plus grande prévalence de tumeurs au cerveau. Cela peut être intéressant dans l'absolu, mais cela ne répond pas au cas des personnes qui ont une utilisation « raisonnable » du mobile; et cela ressemble aussi pour moi au syndrôme plus on cherche plus on trouve. D'autant plus qu'aucun effet biologique de l'exposition aux ondes d'un téléphone mobile n'a été mis en évidence de façon concluante, hormis un effet thermique.
La dernière intervention venait d'une membre de l'association SERA. Elle a adopté une attitude typique de la théoricienne du complot, accumulant contre-vérités et insinuations foireuses immédiatement démenties par les membres de l'assistance. Elle a longuement insisté sur la difficulté de petites équipes, peu financées, à sortir des résultats contrariants pour les opérateurs de téléphonie, affirmant que le laboratoire aurait depuis été dissous (ce qui a été infirmé par la suite). Elle a terminé sur un contre-sens merveilleux sur le wifi, affirmant que le câblage en fibre optique permettait de se passer du méchant wifi (alors qu'évidemment l'utilisation prédominante du wifi a lieu dans les foyers individuels, après toute connexion au réseau qu'elle soit faite en ADSL ou en fibre optique). Il y aurait sans doute des questions à se poser, mais pas sans conserver une certaine rigueur scientifique. Et donc pas avec ces gens-là.
La dernière intervention que j'ai entendue avant de partir, était complètement idiote. La personne prenait à partie le médecin, expliquant qu'en vertu de son serment d'Hippocrate il lui appartenait d'informer sur voire d'interdire l'utilisation des ondes, car il savait qu'il y avait un doute sur la dangerosité, et que donc se taire serait criminel. Ils me fatiguent tous ces gens qui vivent dans un monde binaire fantasmé, dans lequel il y aurait des choses dangereuses et d'autres inoffensives; alors qu'il n'y a qu'une gradation de risques, donc une gestion de ce risque qui n'appartient évidemment pas aux médecins et que le principe de précaution n'est pas une excuse pour se laisser prendre en charge par je ne sais quel « pouvoir public ». Il y a un doute sur la dangerosité des ondes ? Mais enfin, il y a un doute sur tout, ce doute a été plus que largement diffusé et il t'appartient de faire ton choix; car c'est peut-être gênant à admettre mais il faut accepter que les médecins et chercheurs n'ont pas encore de réponse conclusive sur ce doute.